La naissance de la Tumba Francesa
La Tumba Francesa est l'une des plus anciennes expressions de musique et de danse de la culture cubaine. Elle est née avec l'arrivée à Cuba de propriétaires fonciers français qui, pendant la révolution haïtienne de 1791, se sont enfuis de leur pays accompagnés de leurs esclaves, principalement des domestiques habitués à côtoyer la haute société française établie en Haïti. La plupart se sont réfugiés dans la zone de l'est cubain, en particulier dans les secteurs de Santiago de Cuba (zones de la Gran Piedra et Dos Palmas) et de Guantánamo (El Salvador, Niceto Pérez, Guantánamo et Yateras), ainsi que dans quelques régions situées dans le centre de l'île comme Cienfuegos et Matanzas. Ils ont amené avec eux la culture du café mais aussi leurs danses et musiques européennes (Contredanse, Menuet, Gaceste, Rigodon, Carabiné...).
Arrivés dans l'île, ces riches propriétaires, connus à Cuba sous l'appellation de "Français", fondent des plantations de café dans la région de l'Oriente. Ils y appliquent un traitement plus humain vis à vis de leurs esclaves en diminuant les punitions corporelles, pratique pourtant courante chez les propriétaires espagnols. Ils favorisent également le rachat de liberté. De plus, les esclaves ont la permission de pratiquer leurs traditions et rites haïtiens durant les fêtes de célébration des saints tels que San Juan (24 juin) ou Juan Pedro (29 juin), ou pour les grands événements de la plantation (début et fin de la moisson, anniversaire du maître, Pâques, Noël, nouvel an, baptêmes, mariages...).
C'est dans ce contexte que s'est développée la Tumba Francesa comme le résultat d'un processus de transculturation très complexe, c'est-à-dire un échange culturel à double sens entre la culture africaine des esclaves et celle des maîtres européens. Certains historiens pensent que ce processus de transculturation a eu lieu en Haïti puis la Tumba Francesa fut importée à Cuba. D'autres soutiennent qu'elle a vu le jour dans les plantations de café cubaines durant les premières années après la vague migratoire haïtienne de la fin du 18ème siècle.
On dit en effet que la Tumba Francesa serait née d'une volonté des esclaves, pour la plupart du golf du Bénin et à dominante fon ou bantoue, d'imiter et reproduire les danses et chants qu'organisaient leurs maîtres dans les salons de danse. Au début, plus par moquerie et dérision de la classe blanche. Puis, les maîtres ont commencé à comprendre et se rapprocher davantage de cette Tumba Francesa, poussés par la curiosité et l'admiration de voir leurs Noirs danser comme eux, avec la cadence et l'élégance des danses françaises, mais au rythme de leurs tambours et instruments africains du Dahomey et du Kongo. Ils ont encouragé les esclaves en leur donnant des vêtements élégants (châles fins pour les épaules, foulards de soie appelés fulá ou madrás noués sur la tête, robes ornées de dentelle multicolore, chemises à jabot, gilets...) conçus par les meilleures couturières françaises ainsi que des bijoux (colliers, boucles d'oreille...).
Les premières traces écrites de cette tradition remontent au début du 19ème siècle. Elles ont été trouvées dans les plantations de café près des villes de Santiago et de Guantánamo.
Peu à peu, l'habitude de se réunir tous les samedis pour faire la fête en chantant et dansant s'installe, comme cela se faisait en Haïti. Puis, durant le 19ème siècle, dans les environs des champs qu'ils cultivent, de nombreux esclaves s'organisent en sociétés d'entraide mutuelle et d'éducation, à l'image des cabildos. Ces institutions organisent également des réjouissances pour les jours de grandes fêtes. Ceci permet aux esclaves de recréer leurs traditions et habitudes. D'abord pratiquées dans les plantations, les fêtes de Tumba Francesa s'organisent ensuite au sein de ces sociétés ou sosyétés. Parmi elles, on peut citer l'une des premières, la société Lafayette fondée le 24 février 1862 en l'honneur du général français du même nom qui s'installa dans le quartier Los Hoyos de Santiago au début du 20ème siècle.
À la différence des cabildos, les sociétés de Tumba Francesa n'acceptent pas que les Haïtiens et ne se restreignent pas à une religion. Elles intègrent aussi des esclaves et des noirs libérés, des cubains et des africains de différentes ethnies. Leur point commun est d'être ou d'avoir été esclaves de "Français" et de pratiquer le patuá (français mélangé avec divers dialectes des tribus africaines appelé français créole par l'historien cubain Emilio Bacardi). Tous les Haïtiens ne participent pas à ces sociétés. Certains préfèrent s'intégrer à la population coloniale en abandonnant leur langue et leurs traditions.
Suite à l'abolition de l'esclavage en 1886, à l'application de la Ley de asociaciones (loi sur les associations) de 1887 qui autorise tout type d'association et à la migration urbaine des jeunes affranchis à la recherche de travail, de nombreux esclaves qui ont obtenu leur liberté transportent ces sociétés vers les villes. Elles prolifèrent rapidement dans plusieurs villes de l'est de l'île et particulièrement à Santiago de Cuba. Ces sociétés sont dépositaires d'une unité et d'une identité culturelle. En effet, alors qu'au début du 19ème siècle on ne dénombre que 3 sociétés de Tumba Francesa dans la province de Santiago, on compte en 1895 les sociétés Tivolí, Cocoyé, Tiberés, Papiant ou Papiante, Caridad del Cobre, Alto Pino et Tiveré à Santiago de Cuba et Caney, Palenque, Cauto, Socorro, La Maya, Ongolosongo, Solí, Ente Arriba, Ramón de las Yaguas ou Songo dans les environs.
Ces sociétés de Tumba Francesa sont organisées suivant un modèle hiérarchique précis avec un roi, une reine, leur cour, un mayor de plaza (maître de cérémonie qui dirige la succession des pas de danse au son de son sifflet)... Après la guerre d'indépendance de 1902, remportée contre les Espagnols, ces titres sont remplacés par ceux de président et présidente, personnages reconnus et respectés de tous.
La popularité de la Tumba Francesa a atteint son apogée dans tout l'Oriente à la fin du 19ème siècle. S'ensuit une phase de déclin à partir du début du 20ème siècle.
La Tumba Francesa de nos jours
De nos jours, les tambours de Tumba Francesa ne sont plus joués que dans les régions de Santiago de Cuba et de Guantánamo. En novembre 2003, la société Tumba Francesa Lafayette, renommée la Caridad de Oriente en 1905, a été déclarée par l'UNESCO chef d'œuvre du Patrimoine Oral et Immatériel de l'Humanité. Dans un second temps, la distinction s'est étendue aux 2 autres groupes de Tumba Francesa encore existants à Cuba : la société La Pompadur Santa Catalina de Riccis de Guantánamo et le groupe de Beruco ou Bejuco à Sagua de Tánamo dans la province d'Holguín. Aujourd'hui, la Tumba Francesa fait partie de l'identité régionale de l'Oriente cubain.
L'instrumentation
La Tumba Francesa se joue sur 3 tambours dits tambours de Tumba Francesa, tumbas, tambús ou bulás. Ils sont taillés d'un seul tenant dans un tronc (souvent de cèdre) puis décorés de sculptures et de peintures. La peau en cuir de chèvre de ces tambours est tendues par un système dit "à piquets" (grosses chevilles de bois généralement en goyavier appelées coins de buá ou coins de tambour) et à gros cordage. Ces instruments cylindriques de grandes dimensions sont joués à main nue par les musiciens appelés tambouyés ou tambuyés. Ils ressemblent aux congas modernes avec un diamètre plus large.
Un nom est attribué à chaque tambour :
- le premier, premié, redublé, mamier, manmanié, tambor madre ou maman, tambour uni-membrane le plus grave, est joué par le premier, momamier, mamamier, mamamié, mamier ou repicador. C'est le tambour soliste qui introduit des improvisations virtuoses et intéragit avec les danseurs. Il entre en jeu en dernier ;
- le bulá, premier bulá, bulá premié, bébé ou arcend, tambour uni-membrane le plus aigu qui est joué par le bulayé ou bulayer. Rythmiquement, il est chargé de maintenir un patron fixe, une base rythmique ;
- le second bulá, bulá secon, second, segond, ségon, bulá ségon, sécond, secón ou cortador, tambour unimembranophone médium qui est joué par le secondier. Il a une fonction rythmique complémentaire par rapport au bulá. Pour certains rythmes, il ne joue pas comme dans le Frenté.
Un dernier tambour joue aux côtés des 3 précédents. La tambora, tamborita, tamborito, requinto ou tambuché est un tambour bimembranophone employé pour jouer le rythme masón mais on le retrouve aussi dans la Tajona. Similaire à une grosse caisse, sa peau, maintenue par un cerclage mis sous tension par des tirants, est frappée par une courte baguette recouverte de peau. En plaquant la main sur la peau opposée, le musicien étouffe le son de certains coups.
Cet ensemble est complété par un idiophone volumineux, le catá, kata ou cataje, joué par le catayé ou cataye. Le terme "catá" provient du kikongo qui signifie "frapper avec force une chose contre une autre". Cette pièce de bois sec creuse est frappée avec des baguettes appelées buá catá. Il peut arriver que le catayé joue directement sur le corps d'un des tambours.
Enfin, la rythmique est soutenue par le son des chachás, tcha-tchas, marugas ou sonajas, hochets métalliques (en fer blanc) décorés de rubans de tissu que portent les chanteuses et les danseuses. Il n'est pas considéré comme un instrument en soi, mais plus comme un accessoire qui n'effectue pas de figure rythmique particulière.
Les rythmes
L'attribution du mot "tumba" à ce style musical n'est pas parfaitement claire. Certains pensent qu'il vient du mot français "tambour" et d'autres estiment qu'il est dérivé du mot "tumba" qui, en langue bantoue, est une nominalisation du verbe "kutumba" signifiant "festivité animée par des tambours". On retrouve également le mot "tumba" en Haïti où il représente une danse mais le lien n'a jusqu'à maintenant pas été fait avec le mot cubain.
Les représentations, appelées Tumbas, s'ouvrent généralement par un solo en patuá et espagnol, interprété par le chanteur principal, le composé. Cette introduction salue la présidence de la société de Tumba Francesa et invite les danseurs à venir danser. Le chœur, généralement composé de femmes appelées tumberas, lui répond en alternance. À son signal, le catá entame un rythme endiablé repris par les 3 tambours. Les représentations consistent en des séquences de chansons d'environ 30 minutes et se prolongeant généralement tard dans la nuit.
Les fêtes de Tumba Francesa sont restées des fêtes de salon au contraire des fêtes carnavalesques qui intègrent par exemple la Tajona.
Parmi les rythmes de la Tumba Francesa, on distingue :
- le Masón, Mazón ou Bantué, rythme au tempo modéré ;
- le Batiré qui est un rythme rapide utilisé à la fin du Masón ;
- le Yubá, Yuba ou Jubá qui regroupe plusieurs variantes comme le Yubá macota, Yubá mavota, Yubá makotá ou Yubá makóta et le Yubá cobrero. C'est un rythme très énergique au tempo rapide ;
- le Babúl, Babul ou Babú qui est en général la seconde partie du Yubá ;
- le Frenté ou Fronté est souvent joué comme une conclusion du Yubá. Le passage du Yubá au Frenté se fait par un changement brusque de la rythmique ;
- le Grasimá, Grayimá, Grayé ou Grayement, rythme tombé dans l'oubli, possiblement intégré au Yubá. Pour Elisa Tamamès, le Masón vient de ce rythme ;
- le Manganzila, Mangansila, Mangansilla ou Mangasila, d'origine bantoue. Ce rythme aujourd'hui disparu a probablement été intégré au Yubá ;
- le Carabiné ou Carabiñé.
Comme dans la plupart des musiques haïtiano-cubaines, le cinquillo est une figure rythmique fondamentale jouée par le catá :
Cinquillo
Cinquillo avec appui sur les temps
Le musicologue français Daniel Chatelain, dans son article La Tumba Francesa, nous propose divers rythmes d'accompagement de la Tumba Francesa :
Dans son ouvrage La africanía de la música folklórica de Cuba, Fernando Ortiz propose quelques relevés pour le tambour premier :
Les chants
Sosyete Florindo ay!
Si mwen ta mou guid
Mou na'm mande e o
La frod neg o
A okenn do Maria la O
A okenn do
Novedad
No hay novedad
Arriba mi pueblo
No hay novedad
Trabajadores no hay novedad
Mi sosyete no hay novedad
Arriba mi pueblo
No hay novedad
Guerillero del monte
A la manigüa berilé
Ya se acabo lo que se daba
Ail kit a te tou
Para ponerme youn
La Tumba Francesa :
- CHATELAIN, Daniel. La Tumba Francesa. Disponible sur RitmaCuba
- Wikipedia (fr) - Tumba Francesa ou Wikipedia (es) - Tumba Francesa
- RitmaCuba
- AfriCultures
- KUSS, Malena. Music in Latin America and the Caribbean: Performing the Caribbean experience. University of Texas Press, 2007. Disponible sur Google Books
- GuantanamoCity
- ConexionCubana
- ProyectoSalonHogar
- Cubanismo
- SoyCubano ou SoyCubano
- SoyCubano ou Soycubano
- JRisquet
- CubaNow
- LaCult
- DjEmbefola
- Unesco
- LaJiribilla
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- SierraMaestra
- BRANLARD, Emmanuel. Musiques et Percussions d’Amérique Latine - Étude des Caraïbes et du Brésil. 2007. Disponible sur Emmanuel
- ElOrienteDeCuba
- CriticalWorld
- SantiagoDeCubaCity
- HerenciaLatina
- GuiaDeCuba
- RevistasExcelencias
- DtCuba
- SonCubano
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- Monografias
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- CiudadDeHolguin
- CultStgo
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