Les influences européennes
La Country Dance (qui peut être traduit par danse de campagne) apparaît en Angleterre au milieu du 17ème siècle, au début du règne d'Elisabeth 1er d'Angleterre. En 1651, John Playford écrit un ouvrage intitulé The English Dancing Master qui rassemble 105 manières de danser la Country Dance. Cet ouvrage sera complété jusqu'en 1728, référençant alors 358 danses. La Country Dance, également appelée danse "en colonne", consiste en deux lignes disposées face à face : une rangée d'hommes fait face à une rangée de dames. Le premier couple danse la première reprise de la figure et termine en deuxième place. De reprise en reprise, il continue de "descendre", jusqu'à se trouver aux dernières places des deux rangées, tandis que les autres couples ont progressé d'autant de places vers le "haut" de la danse, puis redescendent de même, une fois arrivés en première place. La danse est considérée comme accomplie lorsque le premier couple a regagné sa place initiale.
La Country Dance se diffuse également en France grâce au maître à danser anglais Isaac d'Orléans qui enseigna cette danse aux princesses à Fontainebleau et au danseur André Lorin qui alla apprendre ces danses en Angleterre. Il inventa également un système de notation qui permettra de décrire la manière de danser. Petit à petit, cette danse francisée en Contredanse gagne l'aristocratie française et obtient une grande popularité. Ce succès va durer tout au long du 18ème siècle. Elle doit son engouement à sa simplicité, sa gaieté et sa facilité de mémorisation. Elle utilise un pas de bourrée, auquel s’ajoute un demi-contretemps, et un pas de Gavotte ou de Menuet. On y trouve aussi des pas marchés. Ce sont des figures de bases qui peuvent être enrichies par des variations optionnelles. Les figures à exécuter sont annoncées par le Rigaudonnier. La danse est exécutée comme la Country Dance, en colonne, mais de manière plus sophistiquée. Vers 1740, elle se transforme en Contredanse française, aussi appelée Cotillon. Elle se danse alors "en carré" : quatre couples disposés sur les côtés d'un carré dansent à deux, à quatre ou à huit, selon que la figure le commande. Classiquement, la danse se déroule en alternant neuf "entrées" (couplets) avec un "refrain" (figure spécifique à chaque Contredanse). Les neuf entrées sont, dans l'ordre : le rond, la main, les deux mains, le moulinet des dames, le moulinet des hommes, le rond des dames, le rond des hommes, l'allemande et, à nouveau, le rond pour terminer.
La Contredanse va aussi atteindre l'Espagne et y prendra le nom de Contradanza (version espagnole du mot "country dance").
Cette Contredanse est le plus souvent composé en 2/4. La mélodie basée sur 8 mesures reprises sous la forme A A B B.
Naissance de la Contradanza
Au cours du 18ème siècle, Cuba a reçu l'influence musicale de l'Europe au travers de 3 processus principaux. Ces différentes formes de Contredanses vont être le point de départ de la création musicale purement cubaine.
En tant que colonie hispanique, Cuba a naturellement reçu les apports culturels de l'Espagne. La Havane, port stratégique du commerce espagnol, est ainsi devenue le point d'entrée de la Contredanse. De plus, la Contredanse anglaise a aussi été introduite à la Havane grâce aux marins anglais pendant la période où la capitale fut occupée (1762/1763). La Contredanse est interprétée dans les salons havanais bourgeois, tout ce qui a des accents européens plaît et marque cette appartenance à la haute société. Jouée comme elle est écrite par les compositeurs, sans écart par rapport à la partition, elle est très proche de la Contredanse classique que l'on trouve en Europe. Elle est encore très empreinte du Menuet et se danse généralement en Quadrille (forme simplifiée et standardisée du Cotillon). Elle va également favoriser le développement d'instruments européens comme le piano, la flûte, la clarinette, la harpe ou le violon. Ces instruments constituèrent un type d'orchestre très populaire dont la sonorité s'opposait aux cuivres des musiques militaires. Elle va obtenir un important succès dans la capitale et la région de Matanzas. Les esclaves africains vont également s'inspirer de cette musique et en jouer une version africanisée.
D'autre part, lors de la révolution haïtienne de 1791, de nombreux français s'exilent et se réfugient dans la partie orientale de Cuba, près de Santiago. Ces immigrés apportent la culture du café mais également leurs danses et musiques comme le Passe-pied, la Gavotte, la Gaceste, le Rigodon, le Minué ou Minuet congo (version créolisée du Menuet), la Mazurka, la Quadrille, les Lanciers (qui se métissent et prennent le nom de Lanceros cubanos dans l'île), la Tumba Francesa ou la Contredanse. Cette dernière, sous forme créole, souvent appelée Contradanza criolla, se différencie légèrement de la Contredanse française. En effet, les propriétaires terriens d'origine française ont eu un comportement plus humain à l'égard de leurs esclaves africains en diminuant les punitions corporelles, en facilitant le rachat de liberté et en leur donnant accès aux traditions haïtiennes et plus particulièrement aux danses et aux fêtes. Ceux-ci ont alors introduit le rythme du cinquillo (appelé kintolé en Haïti) d'origine africaine, ont également africanisé le jeu de timpani classique et ont ajouté quelques percussions mineures.
Il est fort vraisemblable que le cinquillo existait déjà à Cuba mais qu'il ait été confiné aux casernes d'esclaves alors que dans l'île voisine, sa présence était tellement forte qu'il a été intégré pour donner la Contradanza criolla.
Voici le rythme du cinquillo qui n'est autre que la reprise du catá ou kata (rythme joué par le catayé sur un tronc d'arbre évidé avec 2 bâtons) que l'on trouve dans la Tumba Francesa jouée à Haïti :
Cinquillo
Cinquillo avec appui sur les temps
La forte population française dans l'Oriente va assurer à la Contredanse un large succès. À Santiago, cette Contredanse est plus populaire, elle est pratiquée dans les milieux populaires et noirs. Les musiciens, qui ne savent pas lire la musique et qui jouent à l'oreille, vont prendre plus de libertés. La Contredanse, comme beaucoup d'autres genres musicaux, ne résistera donc pas au processus de transculturation et va se créoliser un peu plus. C'est ainsi qu'elle va se transformer en Contradanza cubana ou tout simplement Contradanza. La présence quasiment systématique du cinquillo est une des différences majeures avec la Contredanse européenne.
D'abord rejetée par les puristes, elle va finalement conquérir toute l'île. Durant la première partie du 19ème siècle, elle va s'installer comme le premier genre musical et comme la danse favorite des Cubains, toutes classes confondues. Cette Contredanse de Santiago va faire oublier la Contredanse "de bon genre" de la Havane. Dans la capitale, de nombreuses academias de baile (académies de danse) ou casas de cuna (équivalent populaire pour les personnes de couleur mais aussi fréquenté par des hommes blancs recherchant des femmes mulâtres) vont proposer de l'enseigner. On peut la danser dans tous les clubs, du plus mal famé au plus huppé. La façon de la danser va se normaliser dans toute l'île. Elle va dominer la scène musicale cubaine à tel point que tous les compositeurs vont s'y essayer.
Parmi les premiers compositeurs de Contradanza, on rencontre Manuel Saumell Robredo, Ignacio Cervantes Kawanagh, José Lino Fernández de Coca, Tomás Buelta y Flores, Nicolás Muñoz Zayas, Ulpiano Estrada, Vicente Díaz Comas, Agustín Cascantes, Jorge Zequeira ou Pedro Bonfante.
Structure musicale et instrumentation
La Contradanza cubana va évoluer sous deux formes, une en 2/4 et une, plus tardive et rare, en 6/8. Elle est composée de deux mouvements lents de 8 mesures, le paseo et la cadena, suivis de deux mouvements sensiblement plus rapides de 8 mesures, le sostenido et le cedazo.
Généralement, ces Contradanzas sont jouées par des orchestres dits típicas composés de 2 violons, de 2 clarinettes, d'une contre-basse, d'un cornet, d'un trombone, d'un ophicléide (instrument de la famille des cuivres), d'une paila (de la famille des percussions) et d'un güiro (racloir en bois).
La première Contradanza cubana connue est "San Pascual Bailón" écrite en 1803. Son auteur n'est pas connu. C'est une Contradanza cubana dans sa forme embryonnaire. Il manque encore des caractéristiques qui feront plus tard sa différence avec la Contredanse. C'est un morceau en 2/4 constitué de 2 sections de 8 mesures répétées : A A B B.
La Contradanza :
- "San Pascual Bailón" (1803) - Contradanza cubana
- "La Suavecita" de Manuel Saumell Robredo - Contradanza cubana
Contredanse et Quadrille :
- Wikipedia (fr) - Contredanse
- Wikipedia (fr) - Quadrille
- GUILCHER, Jean-Michel. La Contredanse, un tournant dans l'histoire française de la danse. Complexes, 2003. Disponible sur Google Book
Contradanza :
J'ai cherché à écouter les morceaux de musique cités, mais les liens n'ont pas fonctionnés
En revanche, je suis tombé sur cet article, intéressant : https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/balades-latino-americaines/histoires-de-danses-et-contredanses-le-xixeme-siecle-a-cuba-3097319
Bonjour Didier et merci pour ce podcast très intéressant, je vais le rajouter dans la section "références".
Est-ce que les liens que tu cherches à écouter sont dans la section "à écouter" ? Si c'est le cas, ce ne sont pas des liens mais plutôt des suggestion à aller écouter. Sinon, peux-tu m'indiquer plus précisément quels liens ne fonctionnent pas afin que je puisse les corriger ? Merci !